Entretien avec M. Machij El Karkri directeur des programmes du centre de la Prospection Economique et Sociale : Les enjeux du partenariat sino-africain et le rôle du Maroc
1. Selon votre analyse, quels sont les principaux
défis que les pays africains doivent relever pour transformer leur partenariat
avec la Chine en une relation plus équilibrée et bénéfique à long terme ?
Machij El
Karkri : La relation
entre l'Afrique et la Chine s'est considérablement intensifiée au cours des
deux dernières décennies, toutefois, plusieurs défis persistent et doivent être
surmontés pour garantir un partenariat plus équilibré et mutuellement
bénéfique.
Le premier
défi est la dépendance financière et l’endettement croissant, la Chine
est aujourd’hui l’un des plus grands créanciers des pays africains, et certains
États se retrouvent dans une situation où le remboursement de la dette devient
une contrainte majeure pour leur développement économique, il est donc
essentiel que les pays africains négocient des conditions de financement
plus avantageuses et diversifient leurs sources de financement.
Ensuite, il
y a le défi de l’industrialisation et du transfert technologique, si la
Chine investit massivement en Afrique, notamment dans les infrastructures, le
transfert de compétences et de technologies reste limité, donc les États
africains doivent exiger que les investissements chinois s’accompagnent de
programmes de formation, d’intégration de la main-d'œuvre locale et de
développement de chaînes de valeur industrielles sur le continent.
Enfin, il y
a la question de la transparence et de la gouvernance, beaucoup de
contrats entre la Chine et les États africains sont opaques, ce qui favorise la
corruption et limite les bénéfices réels pour les populations locales, ainsi qu’une
plus grande implication de la société civile et des parlements nationaux dans
la négociation et le suivi des projets serait un levier important pour
améliorer cette relation.
2. Le Maroc semble avoir adopté une approche plus
stratégique dans sa coopération avec la Chine. Quels éléments clés de cette
stratégie pourraient être reproduits par d'autres nations africaines pour
optimiser leur propre relation avec Pékin ?
Machij El
Karkri : Le Maroc a
su construire une relation avec la Chine basée sur un modèle de coopération
équilibré et gagnant-gagnant, plusieurs éléments de cette approche peuvent
être une source d’inspiration pour d’autres pays africains.
Premièrement,
le positionnement du Maroc en tant que hub régional est un élément clé
de sa stratégie. Grâce à sa position géographique stratégique et à ses
infrastructures modernes (ports, zones industrielles, logistique), le Maroc est
devenu une plateforme incontournable pour les entreprises chinoises
souhaitant accéder aux marchés africains et européens, cette capacité
d’intégration régionale est un levier que d’autres pays africains pourraient
exploiter en renforçant leur attractivité logistique et commerciale.
Deuxièmement,
le Maroc a mis en place des accords de transfert de technologie et
d’industrialisation avec la Chine. Un bon exemple est le projet de "Tanger
Tech", une ville industrielle qui attire des entreprises chinoises
dans des secteurs de haute valeur ajoutée, ce type de partenariat permet
d’éviter une dépendance excessive aux matières premières et favorise le
développement de compétences locales.
Enfin, le
Maroc a adopté une stratégie de diversification des partenaires économiques.
Malgré son rapprochement avec la Chine, le Royaume maintient des relations
solides avec l’Union européenne, les États-Unis et les pays du Golfe, cette
diversité dans les partenariats économiques réduit le risque de dépendance
excessive et renforce sa capacité de négociation avec Pékin.
3. Dans quelle mesure la montée en puissance de la
Zone de libre-échange continentale africaine (ZECLAF) pourrait-elle influencer
la nature du partenariat sino-africain et renforcer l’autonomie économique du
continent ?
Machij El
Karkri : La mise en
place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZECLAF)
représente une opportunité majeure pour redéfinir la relation entre l’Afrique
et la Chine, cette initiative est bien mise en œuvre, elle pourrait
renforcer l’autonomie économique du continent de plusieurs manières.
Tout
d’abord, en favorisant l’intégration économique intra-africaine, la
ZECLAF permettrait aux pays africains de négocier avec la Chine en tant que
bloc régional puissant, et non plus en tant qu’États isolés, cette approche
collective donnerait aux pays africains un levier de négociation plus fort
pour exiger des conditions plus équitables dans leurs échanges avec Pékin.
Ensuite, la
ZECLAF pourrait réduire la dépendance du continent aux importations
chinoises, en encourageant le développement de chaînes de valeur
industrielles locales. Aujourd’hui, une grande partie des échanges
sino-africains est déséquilibrée, l’Afrique exporte des matières premières et
importe des produits manufacturés, et en stimulant l’industrie locale et les
échanges intra-africains, la ZECLAF pourrait progressivement inverser cette
dynamique.
Enfin, la
mise en place de règles commerciales communes et de normes de régulation
à l’échelle continentale limiterait les pratiques abusives et renforcerait la transparence
des contrats et investissements étrangers, y compris ceux en provenance de
Chine.
En somme, la
ZECLAF offre une occasion unique pour l’Afrique de se structurer et de bâtir
un modèle de coopération plus équilibré avec la Chine, toutefois son succès
dépendra de la volonté politique des États membres à mettre en œuvre des
politiques économiques cohérentes et à renforcer leur intégration régionale.